POUR
une fois le reportage s'annonçait bien : j'étais envoyé
non pas dans les vignes du Seigneur,
mais tout comme. Et devinez où ? Dans un groupe
girondin qui élève le vin au rang de huitième art
de l'humanité et au sein duquel on retrouve la maison Sichel, producteur,
vinificateur et négociant, ainsi que SICSOE dont la mission est
de mettre en bouteille le si précieux nectar pour le compte de plusieurs
négociants de la région.
C'est sur le quai de Bacalan (ce mot désigne le
bateau utilisé par les pêcheurs de morue) que s'élève
la maison Sichel. Sous ce mois d'août fiévreux, la capitale
de l'Aquitaine est sans dessus-dessous avec les grands travaux d'aménagement
qui bouleversent la ville et marquent ainsi la fin de l'ère Chaban-Delmas,
sous le règne duquel Bordeaux avait pris des allures de Belle au
Bois-Dormant...
![]() Au premier plan, les bâteaux commerçant surtout avec cette Angleterre qui, depuis le moyen âge, raffole des vins de Bordeaux. En arrière plan, les "maisons" des négociants. |
Une fois passée la lourde porte d'entrée,
on arrive dans un autre monde : calme, sérénité, mur
aux belles pierres d'un blanc légèrement doré, escalier
à rampe, verrière surplombant une sorte de cour intérieure.
C'est Alain Sichel, le maître des lieux, qui nous accueille. Son
accent, léger et chantant de ce coin de sud-ouest, ne trahit pas
une histoire familiale toute embrouillé de races : un grand père
venu d'Angleterre auquel se sont mêlées, du côté
maternel, des ascendances danoises...
Depuis longtemps, les Sichel sont attachés au vin. Ici, un ancêtre allemand de Mayence commercialisait du vin du Rhin : les fils se sont éclatés, l'un partant pour l'Angleterre, l'autre pour le nouveau monde. Et l'un des actuels cousins d'Alain Sichel vit toujours sur la côte est des Etats-Unis et y importe du vin français... Le grand père donc, est passé plusieurs fois par la région au point de |
Le divin nectar
Aujourd'hui la maison Sichel reste la seule, ou presque,
à maintenir le flambeau sur le quai : toutes les autres sont donc
parties s'installer hors la ville. Et Alain Sichel de nous entraîner
derrière les bureaux du rez-de-chaussée, là où
se trouvent de longues galeries contenant plus de mille barriques de 250
litres chacune. Car, en plein élevage, le divin nectar reste ici,
en fût, trois ans en moyenne, avant d'être mis en bouteille.
L'alignement des barriques sous leur voûte allongées
à l'infinie est impressionnant : ces voûtes s'étendent
jusqu'aux quais de l'estuaire où, autrefois les barriques étaient
chargées sur des bateaux. Et si le vin dort toujours chez les Sichel,
ce n'est guère pour longtemps encore, puisque la plus grande partie
des galeries va disparaître. Elles seront remplacées par la
construction d'une nouvelle route. Tan- pis pour l'histoire vinicole de
ce coin de Bordeaux qui perdra ainsi un témoignage précieux
de son passé défunt...
Voilà qui explique aussi pourquoi le groupe a décidé de faire bâtir, à un dizaine de kilomètres de l'agglomération, de nouveaux locaux dans lesquels il emménagera |
Cependant, la maison Sichel s'honore d'un fleuron avec un bordeaux de marque, le Sirius : « Nous avons voulu, explique Alain Sichel, prouver qu'en sélectionnant les meilleurs raisins et en apportant à l'élevage les meilleurs soins, on pouvait peut un bordeaux pouvant rivaliser avec certains hauts de gamme... » Voilà pour la partie du groupe attachée à l'élevage du vin et à son négoce.
600 à 800 000 bouteilles par jour
A Floirac, dans la banlieue bordelaise, se trouve une
autre activité du groupe, la société SICSOE, qui est
un prestataire de service : on lui confie du vin qu'elle stocke un temps,
le met en bouteille, le bouche et
l' « habille », c'est à dire
qu'une gaine d’étain ou de pvc en recouvre le goulot et qu'une étiquette
(et parfois aussi une contre étiquette) y est apposée.
Le site est ici dirigé par Jean-Louis Martin, la cinquantaine expansive des méditerranéens dont l'origine est trahie par l'accent plus rocailleux. Ici travaillent vingt-quatre personnes : « On pourra penser que c'est un peu trop, surtout sur la chaîne d'embouteillage, mais même si dans le vin nous connaissons actuellement une passe difficile, je ne veux pas me séparer de gens qui nous ont aidés à être ce que nous sommes devenus aujourd’hui. A nous d'organiser le travail en conséquence : ici, les hommes ont leur importance... »
Avant d'arriver sur l'aire d'embouteillage proprement
dite, il nous faut slalomer entre de hautes piles de palettes sur lesquelles
sont stockées, serrées dans des manchons de plastiques ou
sagement rangées dans des cartons, près de trois millions
et demi « qui tournent très vite, précise Jean-Louis
Martin. Une fois retirées par leur négociant, elle partent
pour 90% d'entre elles à l'étranger. »
A l’autre bout des 8000 m2 que compte le site ouvert
en 1982, voici les grandes cuves en métal dans lesquelles est stocké
le vin à son arrivée ici, les unes conservées à
température ambiante pour le vin
rouge ; les autres renfermées dans une autre salle, refrigéréé, celle-là et réservées aux blancs et aux rosés dont font partie les fameux clairets. Dans chaque cuve, le précieux liquide est protégé par de l'azote, un gaz inerte : « Jusqu' à il y a deux ou trois ans, explique Jean-Louis Martin, nous produisions cet azote sur site. Mais comme nous n'étions pas très satisfaits du système, nous avons décidé d'être reliés directement à un producteur qui contrôle continuellement, par informatique, le niveau de notre stock et nous livre si besoin est. Finis les retards de livraison, finies les citernes, finie la masse de paperasse pour les commandes succes- sives... » |
![]() |
Un premier contrôle a lieu, celui du niveau de remplissage (eh oui, une bouteille dont l'étiquette porte la mention 75 cl doit légalement contenir 75 cl de liquide et pas un millilitre en moins). Puis, la bouteille va être dotée, sous vide, d'un bouchon, encore en liège (mais on étudie, ici, la possibilité de bouchons synthétiques) avant de recevoir, gravé au laser, le numéro du lot auquel elle appartient : « Ainsi, même si au bout du monde, une réclamation d'un client nous parvient, nous pouvons retrouver, dans nos archives, toute l'historique du lot auquel elle appartenait: ce "tatouage" de la bouteille fait partie inhérente de notre traçabilité. »
Ensuite, chaque bouteille se voit coller d'une étiquette et d'une contre étiquette avant de rejoindre quelques autres comparses et ainsi être conditionnée dans un carton qui reçoit, lui aussi, un numéro : « Le même, souligne Jean-Louis Martin, que celui qui figure sur les bouteilles et qui est consigné dans notre chronologie. Nous pouvons ainsi suivre le produit et cela fait toujours partie de notre traçabilité. » En tout, 60 000 à 80 000 bouteilles sont ainsi conditionnées chaque jour suivant le système des 2 x 8.
Un outil indispensable
Pendant que Jean-Louis Martin nous explique le cheminement sur la chaîne, une jeune fille tout en blouse blanche, apparaît, un casier à bouteilles en plastique à la main. Elle ne vient pas faire son marché, mais opérer des prélèvements : Isabelle est la responsable du laboratoire d'analyse intégré au site. Sur chaque lot, six échantillons sont ainsi prélevés, deux en début d'opération, deux au milieu, deux à la fin. Mais, outre ces prélèvements, plusieurs autres contrôles ont lieu sur la chaîne : par exemple celui du niveau du remplissage (nous l'avons vu plus haut), le sérieux du vide lors du bouchonnage et la qualité de ce bouchonnage...
En suivant Isabelle, on arrive dans le saint des saints : le laboratoire. Bien sûr, elle va opérer sur les six échantillons de chaque lot, s'intéressant à leur contenu micro biologique, ainsi qu'au degré alcoolique. Et, bien entendu, chaque résultat est noté soigneusement dans des registres réservés à cet effet. Tout comme sont enregistrés et conservés les résultats des contrôles effectués sur les divers appareils utilisés ici, et ce aux périodicités voulues, journalières, hebdomadaires, voire annuelles, celle-ci figurant dans les sacro-saintes procédures !
Mais le laboratoire n'intervient pas uniquement sur la chaîne d'embouteillage : « C'est notre outil indispensable, proclame Jean-Louis Martin : il intervient à chaque fois qu'il y a une manipulation sur le vin. Et nous surveillons le produit dès sa réception, à la sortie des camions citerne qui nous le livrent, jusqu'à son départ. Nous ne devons jamais oublier que ce produit ne nous appartient pas, qu'il est la propriété de notre client, que nous en avons la garde : il peut arriver bien des incidents sur un produit et que nous devons absolument préserver. Pour ne prendre qu'un exemple, notre établissement ne ferme que quinze jours par an pour les vacances, mais nous avons mis sur pied une permanence pour surveiller le vin. Comme vous pouvez le constater, nous appliquons déjà la version 2000 de l'ISO 9001 qui préconise... »
Une impérieuse nécessité
Ainsi, à réception, un premier échantillon est prélevé pour le comparer à celui que le client a acheté chez l'éleveur. Ensuite, pendant toute sa garde, le laboratoire sera aux petits soins : il contrôlera quel est son degré d'alcool, si son SO2 est constant, quel est son indice de volatilité (si ce dernier s'élève, il risque de s'abîmer), son taux en fer… On lui fait passer des tests protéines, d'acidité, on s'inquiète de son PH. Et aux périodes de changement de saison, on redouble d'attention car ces dates entraînent de petites variations dans le vin qui est, rappelons-le, un « être vivant »...
Bref, à côté, les tests auxquels sont soumis les coureurs du Tour de France, sont, si je puis m'exprimer ainsi, de la roupie de sansonnet...Et bien entendu, le laboratoire intervient à tout moment sur la chaîne d'embouteillage. Mais ici à la différence de ce qui se passe sur la grande boucle, on ne s'inquiète nullement des contrôles officiels (des douanes ou du services de la Concurrence et de la Répression des Fraudes) : on sollicite même leurs avis. « Un de nos grands problèmes était d'arriver à nous conformer à la réglementation qui impose qu'une bouteille d'une contenance de 75 cl contienne bien 75 cl de vin. Nous avons donc décidé de remplir systématiquement chacune de nos bouteille d'un millimètre au dessus du niveau estimé. Ainsi nous ne tomberons jamais au dessous de la contenance voulue. Interrogé, le Service de la Concurrence n'a pu que nous encourager dans notre pratique... »
Jean-Louis Martin est intarissable sur les vertus de la qualité : « On sent très bien que si nous n'avions pas mis en place un système qualité, nous nous serions privé d'un confort de travail que nous apprécions aujourd'hui. Quand un problème se présente, nous trouvons, maintenant, la solution appropriée dans le calme. Autrefois, quand un pataquès se produisait (et je le dis notamment pour moi), c'était toujours l'explosion... »
Retour à Bordeaux, dans les locaux du quai de Bacalan. « La qualité, explique Alain Sichel, nous en sentions l'impérieuse nécessité. Si nos clients ne sont pas contents, ils vont voir ailleurs et avec le vin, produis fragile s'il en est, il est important pour nous de suivre des règles strictes. C'est pour cela qu'il existait une foule de petites notes dont le nombre s'accroissait considérablement au point qu'il fallait mettre un peu d'ordre dans tout cela. Très vite, j'ai senti que pour nous donner les moyens, nous devions embaucher quelqu’un à plein temps. »
D'où la venue, en juin 1997, de Louis de Bailliencourt qui, après être rentré des « îles » où il avait travaillé dans la fabrication du rhum, s'est remis aux études pour devenir… qualiticien. Et ce dernier de préciser : « Pendant deux ans et demi, nous avons travaillé à mettre en place un système qualité qui répondait aux prescription de la norme ISO 9002, sans pour autant chercher à "décrocher" une quelconque certification. » Mais, et Alain Sichel prend alors le relais : « Un moment donné, nous avons senti que notre personnel s'était tellement investi dans la qualité qu'il fallait aller encore plus loin. A la fois pour le "bouster" et aussi pour le récompenser. »
Bravos et cris de joie
Et Louis de Bailliencourt de se souvenir qu'en février
dernier, lors d'un repas réunissant tout le personnel, Alain Sichel
leur a annoncé qu'il songeait à aller jusqu'à la certification
: « Il leur a présenté cela comme un challenge qu'il
nous fallait emporter. Et tous de se montrer enthousiastes. »
Et puis il y a eu l'audit de certification. Les quinze jours qui ont suivi,
la direction avait établi le silence radio le plus complet sur les
recommandations des auditeurs. Louis de Bailliencourt raconte l'inquiétude
des salariés du groupe :
« On sentait que chacun était avide de
savoir si la société était ou non certifiée.
Jusqu'à ce dimanche de juillet dernier au cours duquel nous avons
tenu notre grand messe annuelle, repas pris en commun avec femme et enfants.
J'entendais des réflexions du genre "Monsieur Sichel ne veut
rien dire, donc on n'est pas certifié ". L'ambiance était
presque morose. Jusqu'au moment où, prenant la parole, Alain leur
a enfin annoncé la bonne nouvelle. Et là, ce ne furent que
bravos et cris de joie.... »
Mais le travail de Louis de Bailliencourt ne s'arrête pas là puisque, dans le groupe, la cave n'est pas encore certifiée et c'est l'un des objectifs auxquels il doit maintenant s'atteler. Enfin, Alain Sichel réfléchit à haute voix : « Nos propriétés ne sont pas encore impliquées dans le management de la qualité. Mes frères et moi-même songeons sérieusement à entreprendre ici aussi une telle démarche… »
Eric Essertet
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